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Politique du cheveu crépu de Alexandra Pierre




Dans ce résumé-critique, il sera question d’aller explorer l’Histoire dont celle d’Alexandra Pierre, féministe et militante depuis plus de 15 ans. Elle a pris conscience de sa propre histoire familiale, de la position que les femmes y occupaient, de ses origines haïtiennes et elle a décidé d’aller écouter des récits d’autres femmes et de nous les partager. Le texte Politique du cheveu crépu, écrit par Alexandra Pierre en 2021, est le récit d’une de ces femmes, Abisara Machold. Ce texte nous dévoile toute la puissance de la symbolique du cheveu et comment au travers des siècles, ce symbole perdure. Le texte qui suit nous aidera à démystifier ce marqueur personnel qui sera soutenu par deux points d’argumentations, soit ce que le cheveu crépu évoquait durant l’esclavage jusqu’à aujourd’hui, et la résistance qui s’en est suivie.


Tout a commencé par une conférence devant un public majoritairement blanc. L’autrice exposait que l’histoire de sa famille avait été déterminante dans son parcours de femme militante. Elle évoqua aussi l’instinct politique des Haïtiennes et de leur parcours de survie en Haïti ainsi qu’au Québec et de leur résistance causée par le racisme et le sexisme. Le public fut étonné que Madame Pierre souligne la contribution des femmes haïtiennes à l’édification du Québec. Elle fut tout aussi surprise de la réaction du public ! Il est vrai que les évènements qui ne sont pas vécus par les dominants sont souvent minimisés, et voir même effacés de l’histoire comme par exemple, la révolution haïtienne de 1791-1804, qui a fait de Haïti la première colonie libre !

Ce récit nous ramène sur l’histoire de ce peuple, de ces femmes et de l’importance de déterrer, de creuser, de parler, de souligner l’héritage laissé. Comme l’autrice le mentionne si bien : « Ce travail d’archéologie vise à se rappeler, mais aussi à laisser des traces pour celles qui suivront. »Madame Pierre s’est consacrée à l’écriture de ces récits durant deux ans (2017-2019).

Elle a interviewé en tout 13 femmes qui avaient leur histoire de femmes militantes à raconter et qui avaient envie de parler de leur parcours, de la violence physique et psychologiques subies en tant que femmes racisées. Au final, neuf récits furent retenus pour l’écriture du livre :

« Empreintes de résistance » dont celui de Abisara Machold et le Hairstory.


Abisara est née à Vienne d’une mère autrichienne (blanche) et d’un père ivoirien (noir). D’aussi longtemps qu’elle s’en souvienne, elle voulait avoir les cheveux blonds, lisses comme sa maman ! Elle a toujours vu son cheveu crépu comme un défaut qui entache sa féminité. Elle voulait avoir une chevelure de princesse comme dans les livres. Pourtant, sa mère prenait le temps de lui brosser ses cheveux afin qu’elle n’associe pas ses cheveux à la douleur. Cela ne changea rien pour Abisara, avoir des cheveux crépus lui montrait qu’elle était différente de ses amies blondes aux cheveux lisses. À 14 ans, sans le consentement de sa mère, elle est allée se faire défriser ses cheveux … le bonheur ressenti étai indescriptible mais ne dura qu’une semaine à peine. Malgré les avertissements de la coiffeuse, Abisara fit à nouveau un défrisage. « Tous mes cheveux se sont cassés, toute la longueur, de mon coude au menton. »

Chanceuse dans sa malchance, elle n’en garda pas trop de séquelles comme certaines femmes qui ont vécu des histoires horribles : des brûlures graves, la chute de cheveux, etc. Le défrisage affecte la nature du cheveu crépu et la repousse de ceux-ci. Ce rêve de Princesse, cette quête de cheveux lisses a entraîné des conséquences sur son estime de soi et sa confiance en elle fut grandement ébranlée. Elle a tout essayé ce qui pouvait exister dans les salons de coiffures ; des extensions, des faux cheveux, etc. Jusqu’au jour où elle a compris qu’elle devait s’accepter, accepter ses cheveux et assumer qui elle était !

Abisara a commencé à concocter ses propres produits pour ses cheveux. Elle s’est mise à faire ses propres masques de beauté. Elle s’était donnée comme mission de prendre soin d’elle et ça passait aussi par ses cheveux. Elle a appris à renouer avec des traditions anciennes, des savoirs perdus, à retracer l’histoire et celle des cheveux crépus, ce marqueur personnel, ce marqueur historique.


Madame Abisara Machold relie l’histoire des Noires à l’histoire du cheveu crépu et celle de l’esclavage. Dans la plupart des cultures, les cheveux évoquent le rang social, les origines, les étapes de la vie, l’âge, le genre, et les esclaves. À leur arrivée en Amérique, leurs maîtres leurs rasaient la tête. C’était une des façons de les humilier. Ils prétextaient que c’était une question d’hygiène mais ce n’était qu’un moyen de leur ôter leur humanité. Pour les maîtres, une personne noire était considérée comme un bien, un meuble. Et plus tu avais de « biens » et plus ils étaient reconnus dans la haute société, c’était un signe de prestige. Avec les bateaux négriers, s’en est découlé un système de valeurs de marchandises, la valeur du cheveu et donc celui de l’esclave. On déterminait la valeur de l’esclave par le « test du peigne ». Si une mèche de cheveux passait dans le peigne du maître, le cheveu était considéré comme « bon » cheveu. Ce qui permettait à l’esclave d’avoir des tâches quotidiennes un peu plus faciles comme de travailler dans la maison du maître et même espérer d’être un peu mieux traité. En revanche, si la mèche de cheveux ne passait pas le test peigne, le cheveu était considéré comme un « mauvais » cheveu alors là, malheureusement, l’esclave était acheminée aux travaux les plus durs sur la plantation !


En somme, plus tu t’approchais de la texture du cheveu du maître et plus tu avais droit à des privilèges. Une texture lisse et soyeuse comme celle du maître et de la maîtresse est un gage de beauté. Madame Abisara Machold souligne ce point : « Chez les personnes afro-descendantes des Amériques, les personnes ayant la peau plus claire et le cheveu plus lisse sont des enfants qui descendent des viols des femmes esclaves commis par les maîtres et des relations sexuelles imposées entre esclaves. » Et le Canada ne fait pas exception ! Selon les historiens, il y avait bel et bien eu des esclaves au Canada vers 1629 jusqu’au début du XIXᵉ siècle. La majorité des esclaves ont vécu à Montréal, à Québec mais aussi à Trois-Rivières et à la campagne. 85 propriétaires sur 100 étaient Canadiens français. Posséder des esclaves étaient aussi signe de prestige, au Canada. Toujours pour des raisons « d’hygiène », on interdisait aux personnes esclavagisées de « porter des cheveux naturels » Vers la fin du XVIIIᵉ siècle, à la Nouvelle-Orléans, une loi fut instaurée, la loi Tignon, qui exigeait aux femmes noires de se couvrir la tête pour cacher leur chevelure. Même après l’esclavage et encore aujourd’hui, les standards de beauté appellent les femmes noires à tendre vers le standard de beauté de la femme blanche. Pour faciliter leur intégration dans les églises, les écoles et le travail, elles ont dû se lisser et tisser les cheveux, porter des perruques, et voir même porter le Headwrap … jusqu’à renier leur propre histoire, leur propre culture pour ressembler à leurs oppresseurs.


L’autre point de vue que Madame Abisara Machold apporte dans son récit est le symbole de la résistance. Dans chaque étape de la vie d’une esclave, malgré toutes les violences, les atrocités qu’elle a vécues, il y avait cette force en elle qui grandissait, celle de la Résistance. Elle ne pouvait parler en travaillant, elle chanta communément appeler les Work Songs. Elle chanta des messages à transmettre, des messages de liberté. Entre elles, l’entraide et les sororités se développaient. Plus elles se tenaient ensemble et plus l’espoir grandissait.

Plus on les obligeait à camoufler leurs cheveux et plus elles confectionnaient des Head Wraps magnifiques en signe de rébellion et pour affirmer leur beauté. Pour se rapatrier leur beauté, beaucoup de femmes se sont lancées dans l’entreprise du cheveu comme Madame C.J. Walker (1867-1919), cette femme, fille d’esclaves, est devenue une femme d’affaires grâce à son entreprise en soins capillaires.

Comme beaucoup de femmes noires à son époque, elle souffrait de problèmes capillaires et de problèmes de peau dû à un manque de ressources mais également causé par l’utilisation de produits capillaires agressifs qui causaient la chute de ses cheveux. Madame Viola Desmond (1914-1965), née à Halifax au Canada, en est un autre bel exemple. Malgré son diplôme en enseignement, Madame Desmond peine à trouver un emploi. Elle décide de se lancer en affaires : salon de coiffure, produits cosmétiques pour femmes noires, qui lui apportèrent la reconnaissance. Son école School of Beauty Culture, fut fondée afin de permettre aux femmes noires de pouvoir étudier et apprendre le métier car l’accès y était interdit dans les autres institutions. Elle lutta pour faire avancer les droits civiques des Afro-descendantes au Canada. Madame Viola Desmond est aujourd’hui sur les billets de 10 $ canadien pour la reconnaissance de son œuvre.


En 1960-1970, la coiffure afro est un symbole de lutte pour les droits des personnes noires.

En 2009, Madame Abisara Machold vient s’installer à Montréal où elle ouvrira en 2013, Inhairitance, son salon de coiffure. Inhairitance se veut un lieu où elle peut accompagner chaque femme qui y entre. Un lieu où les femmes noires acceptent et apprennent à aimer leurs cheveux crépus. Un lieu de rencontres, de partages qui permet l’exploration de Soi, d’augmenter le pouvoir sur leur corps et d’aimer leur corps. Madame Abisara Machold a choisi la voie de la guérison grâce à son projet collectif.


« On ne démolira jamais la maison du maître avec les outils du maître. » Audre Lorde. Cela résume très bien toute la force de ce récit, celui d’un peuple colonisé par des oppresseurs qui ont voulu les déshumaniser à un tel point de perdre ... leurs cheveux, symbole d’identité. Pour survivre, ces femmes se sont relevées en incarnant la Résistance. Mais pour que le monde actuel dans lequel nous vivons, nous devons trouver d’autres alternatives au combat ! Faire comme les oppresseurs ne fera qu’agrandir le fossé entre les peuples. Comme le souligne Madame Abisara Machold : « J’ai arrêté d’être contre le racisme, contre le sexisme afin d’être pour quelque chose. » Ayons une vision de guérison, explorons une approche plus spirituelle du féminisme. Et vous, quel outil vous nous suggérez ?



Bibliographie


** Lorde, Audre. « On ne démolira jamais la maison du maître avec les outils du maître » dans Sister Outsider : essais et propos d’Audre Lorde : sur la poésie, lérotisme, de racisme, le sexisme, Mamamelis, 2003.


** Pierre, Alexandra. (2021). Politique du cheveu crépu, Empreintes de résistance. Filiations et récits de femmes autochtones, noires et racisées (p. 18-55) Montréal : Remue-Ménage.


** Walker, C.J. « La femme d’affaires partie de rien. » (2021/06/16) L’Histoire par les femmes https://histoireparlesfemmes.com/2021/06/16/madam-cj-walker-femme-daffaires/

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